Le Petit Parisien 20/07/1927

Le Petit Parisien 1927-07-20 Numéro 18404

LE MYSTÈRE DE L'OISEAU BLANC : L'HISTOIRE DU RAID PARIS-NEW YORK
 
Rentré en France, Charles, qui avait été si fortement impressionné par les travaux des Américains en vue d'effectuer
la traversée en avion de l'Atlantique, devait constater, qu'à cet égard, nous manifestions de notre côté une étonnante
indifférence. 
Sauf le projet Tarascon-Coli, rien ne paraissait pouvoir être pris en considération et, du côté des appareils notamment, 
rien n'autorisait à espérer le succès d'un raid France-Amérique. Cependant Charles rêvait toujours de ce raid, auquel il 
voulait donner un caractère non seulement sportif mais commercial. 
Sur ces entrefaites, dans les premiers mois de l'année 1926, l'attention de Charles était vivement attirée par les
caractéristiques d'un projet de monoplan multimoteurs et surtout par le dispositif de l'aile qui, complètement creuse 
et atteignant en son centre une hauteur suffisante pour qu'un homme s'y tînt debout, renfermait les moteurs ainsi 
accessibles à un mécanicien qui pouvait les surveiller et, le cas échéant, les réparer en plein vol. 
Sur-le-champ, Charles entrevit la possibilité de faire construire un grand avion avec équipage à bord (mécanicien, 
pilote, commandant). Il pensait d'ailleurs, sur ce dernier point, appliquer les théories du commandant Le Prieur, 
qui avait été exposées tout au long dans différents articles à l'Illustration. Charles se mit en rapport avec 
l'inventeur de l'appareil, apporta des idées personnelles très importantes aux plans primitifs et commença de faire 
construire sur ces données un avion d'un modèle réduit et avec lequel il devait se livrer à des essais. 
Son intention était d'effectuer avec ce petit appareil un raid qui frapperait l'imagination tout en servant d'amorce à un raid 
Paris-New-York ultérieur. Il s'agissait de faire Paris-Paris par l'Afrique, l'Amérique du Sud, l'Amérique du Nord et les
Açores, en trente jours environ, repos compris, seul à bord, avec des étapes de 3.000 kilomètres au maximum. 
Charles, bien que dans une situation difficile, remuait ciel et terre, trouvait quelques concours et se mettait à l'œuvre 
comme il sait le faire, au prix d'efforts et de sacrifices matériels considérables, tenant coûte que coûte, 
acharné à faire aboutir son idée. Cependant, l'avance prise par les Etats-Unis pour la traversée aérienne de l'Atlantique 
se précisait de façon inquiétante. Fonck, engagé en Amérique, annonçait son prochain départ, et Charles, 
tout en se félicitant sincèrement de la réussite éventuelle de son camarade, déplorait que ce dût être avec un appareil 
étranger. J'ai dit l'esprit sportif et le patriotisme également passionnés de Charles. 
Deux exemples. 
Pendant la guerre, Charles arrivait à un moment en tête des as pour le nombre d'avions ennemis abattus.
Charles est blessé. Ambulance. Un jour, Charles apprend que le lieutenant Madon, jadis son suivant immédiat, 
le devance maintenant de deux. 
Charles, point guéri encore, rejoint sa formation proche, monte en avion, abat dans son après-midi quatre appareils, 
redescend et rentre à l'ambulance comme après une promenade de santé. Il est vrai qu'il devait faire une victime de plus 
le médecin-major qui, positivement, en tomba malade. 
Tout petit, à Valenciennes, Charles regarde passer un régiment, le drapeau après la clique. A côté de lui, 
un grand gars du Nord, mauvaise tête, garde sa casquette au passage du drapeau. Charles, sept ans, rouge de colère, 
les poings fermés en bataille, apostrophe le grand gars :
« Salue, salue tout de suite ou je te donne un coup de pied dans le ventre ! »
Et l'autre, moitié amusé, moitié impressionné, retire gauchement sa casquette. 
Quand on possède cet esprit-là, on n'aime pas beaucoup se faire distancer par le voisin, surtout quand le voisin
est étranger. 
Charles réfléchit qu'il n'aura jamais le temps de faire construire l'avion qu'il a projeté aussi bien réussirait-il son projet 
de raid Paris-Paris qu'il arriverait trop tard pour l'équipée transatlantique. Charles va trouver l'ingénieur et lui explique 
pourquoi il abandonne momentanément la construction de l'appareil. Ce qu'il lui faut maintenant, 
et dans les plus brefs délais possibles, c'est un avion puissant, quel qu'il soit, mais ayant au moins ses 6.000 kilomètres 
dans le ventre. Avec cet avion, il fera la traversée Paris-New-York et reviendra ensuite à l'appareil primitivement conçu. 
Aussi bien faut-il des sommes considérables pour faire exécuter le grand avion à aile creuse qui lui semble répondre aux 
nécessités commerciales d'une ligne transatlantique. Si Charles réussit le premier la traversée, il aura, par la suite, 
tout l'argent qu'il voudra et pourra ainsi réaliser d'autant plus rapidement ses projets. L'ingénieur se rend aux raisons 
de mon fils, et voici Charles maintenant à la recherche d'un appareil et d'un moteur répondant à ce qu'il désire. 
Charles est pressé, il ne peut retenir les offres des maisons qui lui demanderont des délais trop longs de construction. 
Par ailleurs, il n'a pas de contre-partie à proposer, mais il lui suffit de se présenter avec son seul courage pour 
qu'aussitôt les portes s'ouvrent. Le choix de mon fils s'arrête sur un appareil Levasseur. 
De fait, l'avion de Levasseur, construit spécialement, avec sa carlingue en forme de coque de bateau, 
paraît à Charles le mieux adapté au voyage qu'il veut entreprendre. En même temps, la maison Lorraine-Dietrich met 
quatre moteurs à sa disposition. Sur ces quatre moteurs, l'un tournera pendant soixante heures sans arrêt et 
sera ensuite complètement démonté, voire cassé, afin que l'on en connaisse les parties faibles. 
A ce propos, on a fait circuler tant de légendes sur Charles que je tiens à bien préciser les conditions dans lesquelles
 il est parti. 
On a fait de Charles un mercenaire. On a dit que le seul appât du gain l'avait fait agir, tant il est vrai que les petites gens, 
en présence de grandes actions, ne sont satisfaits qu'après avoir tenté de ramener ces actions à leur mesure. 
Je n'ai pas dissimulé que Charles attendait de sa réussite des sommes suffisantes pour pouvoir ensuite faire exécuter 
l'appareil dont il rêvait. Mais, jusqu'au bout, ce ne fut qu'un espoir. 
Cette fortune, il voulait la conquérir de haute lutte et non point s'en assurer d'avance la possession par des 
stipulations habiles. 
Charles ne reçut rien, ni de M. Levasseur, ni de la maison Lorraine-Dietrich, ni d'aucun groupement, ni du gouvernement. 
Son geste resta pur. Le seul contrat qui l'engagea, tant vis-à-vis de M. Levasseur que des établissements Lorraine-Dietrich, 
fut sa parole :
« Donnez-moi un appareil et un moteur. Je vous apporte ma peau en échange ! »

 

Source : Gallica

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