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Sa mère parle de son fils, disparu...30/07/1927

Journal Le Petit Parisien du 30/07/1927 numéro 18414

Parmi les lettres d'enfants que j'ai reçues, il en est qui, inspirées par une pensée collective,
m'ont particulièrement touchée. Les petits élèves de 10 à 11 ans d'une école municipale de Paris
m'ont tous écrit à l'occasion de la fête des Mères françaises, qui a eu lieu le dimanche 29 mai.
Tous ces enfants, songeant que j'étais privée de mon fils, ont voulu le remplacer :près de moi
ce jour-là. Tandis que j'écris, j'ai leurs petites lettres sous les yeux. Toutes ont des fleurs
épinglées, mais les plus jolies fleurs, ce sont les pensées qu'elles contiennent et qui m'ont
doucement attendrie. 
L'un dit 
« Votre fils a été un héros partout, il fut un héros pendant la guerre comme il a été un héros
pendant la traversée de l'Atlantique. » 
Un autre 
« On nous a raconté sa belle histoire et nous l'admirons tous. »
Un autre 
« Malheureusement, cette fête des Mères va être attristée par la pensée qu'une de ces bonnes
mamans ne recevra pas la lettre de son grand et noble fils, et c'est vous, madame. » 
Un autre 
« Votre fils peut très bien avoir amerri près d'une côte, avoir été recueilli par des pêcheurs
et partager avec eux leur modeste vie. Le jour où il reviendra sera un jour de bonheur pour la
France, et tous les petits Français fêteront l'arrivée du héros. » 
Un autre 
« J'espère que ma petite lettre adoucira un peu votre angoisse et votre inquiétude. » 
Tous, de tout leur cœur, de toute leur innocence, s'ingénient à me consoler, à m'encourager,
à m'aider à espérer Chers enfants, je veux vous nommer tous R. Meunier, C. Crochet, A. Sarrazin,
R. Moulia, G. Barière, R. Boursin, J. Magnan, J. Milstein, Dupont, Brisset. J'ai déjà écrit à
votre bon maître pour le charger de vous remercier. Et puisque pendant mon inquiétude, vous avez
voulu être un jour mes enfants, Charles sera désormais votre grand frère et, à son retour,
il viendra vous embrasser avec moi. 
Ici se termine momentanément l'histoire de l'Oiseau Blanc. Je dis momentanément, car elle aura une fin,
une belle fin en laquelle j'espère. 
Maintenant, je veux conclure. Il est des gens qui se scandalisent et qui me reprocheront d'avoir écrit
ce récit alors qu'il s'agit de mon fils. C'est qu'ils n'auront pas compris dans quel esprit je l'ai fait.
A cet égard, je veux définir nettement mon attitude. Je suis actuellement le centre d'intrigues sur
lesquelles je préfère ne pas insister. Il est difficile d'être la mère d'un héros. Les souscriptions
qu'on a ouvertes en Amérique pour Mme Coli et pour moi témoignent d'une générosité de cœur dont
je suis confondue. Le geste des Américains m'a profondément touchée. Leur sympathie immédiatement agissante
m'a été d'un puissant réconfort et je tiens à leur dire ma très affectueuse gratitude. Mais ces souscriptions
mêmes ont éveille de curieux intérêts. Je suis l'objet de sollicitations imprévues, et certains groupements
me donnent des conseils non moins inattendus. Je le déclare avec toute la fermeté dont je suis capable,
je ne céderai à aucune puissance d’influence ou d'argent. Mon devoir est net. Charles me l'a tracé lui-même.
J'ai dit l'entretien qu'il avait eu avec C. et comment il a confié à son ami ses volontés expresses.
C'est à ces volontés que j'obéirai. 
Je veux qu'à son retour, Charles soit à même de s'attaquer à son œuvre, de faire construire cet avion modèle
auquel il a déjà travaillé, de réaliser son projet de ligne transatlantique aérienne qui est depuis si
longtemps son ambition. Et si le malheur voulait ce qui est impossible, que mon fils ne me fût pas rendu,
certaine fondation Charles-Nungesser, à quoi je pense en faveur de l'aviation, couperait court aux méchancetés
et aux calomnies. 
Tous ceux qui s'élèvent sont en proie à la jalousie. Charles n'a pas échappé au sort commun. J'ai voulu lui
rendre son vrai visage. Il en est qui ont qualifié l'héroïsme de Charles et de Coli de folie inutile.
Les malheureux ! Voient-ils maintenant à quel point ils se trompaient, comment les événements eux-mêmes
leur donnent tort ? Le geste de Charles porte déjà ses conséquences. L'opinion publique s'est émue,
l'apathie des bureaux a été secouée, la presse tout entière s'est occupée du problème de notre aviation.
On comprend aujourd'hui l'importance d'une liaison aérienne transatlantique. On comprend aussi l'avantage
que nous aurions à avoir réussi les premiers. De chez nous, 
même, nombre d'aviateurs et d'appareils s'alignent à présent pour la glorieuse compétition.
Du fond de mon cœur, je souhaite aux émules de mon fils bonne chance. Charles travaillait pour la grandeur
de sa patrie. Eux aussi. Ils sont réunis dans le même idéal. Lecteurs que j'ai pu intéresser ou émouvoir,
cœurs français à qui je me suis adressée et de qui je demande l'affectueuse sympathie, écoutez-moi,
j'ai fait un rêve. C'est un beau rêve puisqu'il est possible, puisque je suis fermement convaincue qu'il
se réalisera un jour. 
Voici 
Charles et Coli sont retrouvés. Charles est revenu d'Amérique. Il me demande :
« Qu'as-tu fait? »
Alors je lui montre les possibilités de travail et de réussite pieusement amassées pour lui et,
de toute ma ferveur, de toute la foi que les Français ont mise en lui, je lui dis :
« Maintenant, fais construire ton avion et repars en Amérique avec lui. J'ai confiance »
La mère de Charles NUNGESSER 

 

Source : Gallica

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